Vous avez
dit : fabuliste ?
Le rôle
essentiel du fabuliste est de plaire
et d’instruire en amusant. D’après son étymologie, le mot fable signifie une histoire racontée. Il s’agit souvent
d’un récit d’imagination basé sur le vrai, mais qui peut être aussi mensonger,
car l’intention reste d’exprimer une vérité générale qui aboutisse sur une
morale. Nous sommes tous moralement actifs, car la vie
est imbibée de morale, et tout naturellement la vie s’implique dans la
littérature. L’écriture rythmant quotidiennement la vie active, l'écrit ainsi captive le genre humain, pour son
art, pour sa fonction. Il en est ainsi depuis des lustres. Le poète latin
Horace a dit : « La littérature veut instruire ou plaire ;
parfois son objet est de plaire et d'instruire en même temps.» Il est vrai que
l’écrit instruit, transmet des idées, des avis, des conceptions éthiques ;
et c’est bien tout ce que cherche à faire l’apologue, ce court récit qui illustre une maxime ou un enseignement moral, qui
reste la base du « fonds de commerce » de tout fabuliste ou conteur. Néanmoins il existe une
grande différence entre la fable et le conte philosophique, deux formes
littéraires qui visent toutes deux l’éveil du lecteur sur un sujet de réflexion
en les distrayant.
Le fabuliste distille des textes destinés à l'enfant qui sommeille au
fond de nous. Il se positionne le plus
souvent sur la dualité du bien et du mal, mettant l’exergue sur l’importance du
choix, offrant la distraction par l’entremise de scénettes pour favoriser le
sens ; contrairement au conte philosophique qui, lui, a une véritable portée
didactique de vérité absolue (Le Petit Prince, l’alchimiste). Mais si l’on
pousse l’investigation, la fable ne s’adresse souvent qu’aux vrais enfants,
favorisant l’historiette au principe éthique - comme au théâtre de Guignol -, en
mettant en scène des animaux dont l’auteur humanise leurs comportements afin de
mieux les distraire, les envoûter au comique de situation, et favoriser leur
imaginaire. Les fables offrent ainsi des rencontres incroyables, des histoires
merveilleuses, des antagonismes impensables, aux effets comiques incisifs. Mais
elles peuvent aussi viser de façon didactique et critique un public plus averti.
Là, sa forme poétique l’emporte, l’auteur s’impliquant par son propre ressentiment
sur le sujet qu’il traite. A contrario, le conte philosophique tout en
s’inspirant du genre de la fable pousse le lecteur à la réflexion ; Il
l’interpelle en lui évoquant des aventures de personnages humains bien définis
et structurés en titillant son raisonnement de lecteur. Le conte met la
philosophie à la portée de tous, mais la raison, la logique et la loi doivent essentiellement
en émerger. Dans les deux genres littéraires, les auteurs cherchent avant tout
à capter l’attention du lecteur, pour dans un second temps l’informer. La fable
le fait par le truchement théâtral et du recours à la morale. Il s'agit
d'indiquer ce qui relève d’une conduite sage et réfléchie en proposant une réalité
crédible. La fable est ainsi pratique pour éduquer les enfants, comme en a
témoigné La Fontaine en instruisant le dauphin grâce aux siennes. Mais elle
enseigne aussi les adultes éclairés de ce qui est fortement déconseillé de
faire, dans une société constituée et ordonnée. Tout comme la fable, le conte
philosophique transmet au lecteur des arguments pour l’initier aux profits de
la sagesse, du savoir et du raisonnement logique, avec l’obligation pour le
lecteur de se forger son propre discernement, en développant son esprit
critique. Ici réside la différence essentielle entre les deux genres en
privilégiant dans le conte la raison plutôt que la croyance, la réalité plutôt
que l’imaginaire.
Enfin, il existe un point capital, l’avantage de la fable réside dans le
fait qu’elle est toujours brève, favorisant une lecture facile ; elle ne développe
pas forcément l'argumentation, mais reste persuasive. Elle peut être alors une
chronique de son temps mettant en scène des personnages réels ou fictifs,
évoquant des faits sociaux historiques et authentiques ou des nouvelles vraies
ou fausses colportées oralement. C’est ce qui lui a valu ses plus farouches
critiques qui cherchèrent dès lors à dévaloriser son genre littéraire. Mais
c’était omettre l’enchantement que la fable dissimule derrière les animaux,
comme au jeu du portrait chinois, variante du jeu littéraire ancien du
jeu des énigmes ; une technique d’étude qualitative et de créativité, transposant
le thème étudié dans un univers amusant différent, facilitant l’étalage de tout sujet en s’évitant les critiques ou poursuites.
La fable reste aussi ouverte à toute invraisemblance, ce qui en fait aussi son
charme ; le comble c’est que parfois sa morale peut-être à contre-courant
(la cigale et la fourmi). La fable fait encore appel aux croyances, aux
opinions, aux mythes et traditions qui relèvent du Sacré, ce qui rend la part encore
plus belle au merveilleux. Ses détracteurs diront que le conte philosophique voue
au pilori la paresse de la pensée, affirmant que si cette dernière n’est pas
exigeante, elle ne poussera pas à la raison pure qui seule vaut force de loi pour
atteindre vérité et sagesse.
Finalement a-t-on besoin d’éveiller la raison pour affirmer que « le
borgne est roi entre les aveugles » ou bien que « Sans l'amour et la folie, il n'est point de moments heureux »
? Voilà pourquoi on se
complet à travers les fables dans la facilité des rêves de notre âme d’enfant
éveillé et amusé qui ne va pas jusqu’à la catharsis que recherche chaque fois
le conte philosophique ; la fable plait en instruisant facilement. Dans la
fable, il ne s’agit pas d’acquisition d’un savoir purement théorique
mais de l’affinement de notre perception et de notre compréhension morales, qui
se réalise en s’amusant.
Ainsi pour le fabuliste, toute
fable n’est-elle pas un mensonge qui dit la vérité ?…
Alain Le Damlend
Alain Le Damlend
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