lundi 23 novembre 2020

Cahin-caha

LIVRE V - Fable 92 - (Editions Thot en 2018 - Fabuleux Dédale)





Cahin-caha

 

Un fort cheval blanc halait la péniche

Quand sa pouliche draguait le canal

L’on jacta qu’il ne voyait pas la triche

Mais que faire étant pris entre brique et fanal ?

La robe alezane cachant peu ses appas

Le toupet empreint de bonté

Conduisait au trépas

Leur ami, un taureau tantinet effronté.

Quelque intelligent que fût l’animal

Aux assauts des œillades luxurieuses

Il s’imaginait succomber au mal

D’une passion furieuse.

Et rien n’est pis que cette maladie

En espérant quelques agapes

Elle le zieutait, le poursuivait, le mirait

De pied en cap

A lui faire perdre la raison.

En pleine bandaison

Surgit l’ennemi notoire de la famille

Diable ! Le bouc, la barbe, jaloux méchant drille

Tourmenteur s’offusquant du rossard qui abuse.

Et l’innocent idiot qui s’excuse, s’accuse

Quand même l’aguicheuse

En devient bégayeuse.

Le bouc dit au cheval qu’il faudra qu’il se venge

Sur l’outrage qu’il prenne sa revanche.

Notre équidé ne veut se vautrer dans la fange

Mieux vaut vivre que croupir entre quatre planches !

Aimant voir le jour poindre

A quérir ses amis

Sans proposer d’occire ni conjoindre

En estoquant ou liant fausse bigamie.

Le taureau mène à la lumière

De pure beauté hédonique

Quand le bouc fait barrière

D’obscène souffle satanique.

Lors, notre canasson digne d’un palefroi

Connaît l’ami, sa dame et ses effrois

Et plus que tout, son ennemi

Pour qui il morigène l’avanie.

De la gêne vaille que vaille

Plutôt qu’aller à la déroute

L’ami se doit d’être une route

Quand l’ennemi dresse muraille.

 

 

 

samedi 21 novembre 2020

La chèvre et le chameau

 LIVRE V - Fable 69 - (Editions Thot en 2018 - Fabuleux Dédale)




La chèvre et le chameau

 

Dans le grand désert de Gobi

Deux herbivores errent à la recherche de soi

Aux confins de la Mongolie

Sur la route de la soie

Eux aussi ont des fibres de poil à tisser.

La chèvre du Tibet

Sautille sur le sable en évitant les pierres

Réprouvant la colère

Du grand chameau qui déblatère

La caprine angora et sa laine mohair.

Voir ces ruminants qui ruminent

Sur leur peau qui les minent

Depuis le temps mort des Croisades

Aurait pu faire un conte de Shéhérazade.

« Le tissu en poil de chameau

Est le meilleur de tous, peu cher, costaud, cossu

Rude, il résiste à tous les maux. »

Allégua le deux fois bossu.

« Seule une étoffe souple et riche

Prélevée de ma robe pure aux grandes mèches

Soyeuses et lustrées, au contact doux, aguiche

Tout un chacun : entrez-vous ça dans la cabèche ! »

Répondit en furie la bête à cornes.

L’amour est donc plus dur à trouver que la haine

La guerre plus attirante qu’une paix morne

Quand tout n’est pourtant qu’affaire de laine !

Soudain un air très fort, en bon génie

Souffla son besoin urgent d’un tapis volant

Nécessitant douceur d’un nid

Et une résistance allant à tous les vents.

De l’union vint la force

Car cet aquilon fut l’amorce

D’une possible entente excluant tous les maux

Quand nos deux brouteurs ne montrèrent plus leurs dents

Créant tapis en poil de chèvre et de chameau

Qui depuis inondent l’Orient et l’Occident.

Toute chose est très difficile

Avant de devenir facile.

 

 

 

 



jeudi 19 novembre 2020

Le Rat qui vit se vit roi

LIVRE II - Fable 21 - (Editions Thot en 2018 - Fabuleux Dédale)



Le rat qui se vit roi

Ce fabliau parle du rat
Des forces et faiblesses
D’un animal souvent dans l’embarras
Malgré légende d’une apparente noblesse.
C’est en Chine que le rat noir opine
Auprès d’un mandarin. La bestiole envoûtante
Se voulait gouverneur ; tout le luxe le tente
Les autres prétendants, il faut qu’il les débine.
Le roi lion cherchait un sbire
Pour régler les dossiers qu’il n’ait plus à subir.
D’un bond le rat est le premier
Avant le bœuf, devant le tigre
Même un lapin qui sauts anémiés.
« Que Dieu vous préserve d’eux ! Bigre
Point de ministres lent, feulant ou bien branlant ! »
Le voilà qui dénigre et jure de son mieux
Pestant, envers les intervenants
Du dragon lance-flammes au cheval obséquieux
Contre le coq, contre le singe
Triturant ses méninges
Blâme le chat absent
(L’ayant dissuadé d’être participant
Parce qu’il était Persan)
Evoque enfin l’aigle étranglé par le serpent
Qui aurait pu, être très bon, s’il n’était mort.
L’empereur maugréa si fort :
« Peut me chaut ! Plus de noms ! Ça suffit ! C’est assez ! »
Que sa cour crut qu’il voulait voir chien puis cochon
Bêtes quelque peu angoissées
Quand on les présenta au roi ronchon.
Presque roi, le bon rat prenait ses aises
« Fi ! Que nenni que ces deux-là vous plaisent ! »
« Pourquoi donc rat bouffon
Tu te crois donc griffon ? »
« Le chien trop arrogant ne peut donner le change !
Que dire du porc qui se complait dans la fange ? »
 « Dès lors il ne reste que vous ?
Un rat intelligent, charmeur sans anicroche
Qui ne craint rien, ni loup, ni boue
N’ayant pas langue dans sa poche
Adroit, sans gaucherie. Comblez-moi de la chance
Messire le rat de vous avoir rencontré. »
« Que dois-je faire bon maître pour gagner confiance ?
A l’abri du danger
Je peux tout gouverner. »
« Tu crois donc aussi me berner ? »
« Point du tout Votre Altesse
J’ai pour l’envie, la laisse ! »
« Comblons cette envie d’être roi
Donc pour toi ce nouvel octroi :
Je t’offre un large périmètre
Où tu pourras laisser un peu de place aux autres
Et sans te compromettre
Tu trouveras le bonheur d’être un bon apôtre
Des signes du zodiaque je te nomme en tête
Pour mener par la barbichette
Tous ceux dont tu ne t’es pas fait que des amis
Jusqu’aux tréfonds infinis de l’astronomie. »
Lèse-majesté, vanité et enfumage
Brisèrent le rat noir qui ne fut anobli
Mais du calendrier eut la première image.
Il n’est point de plus forte vengeance que l’oubli.




mardi 17 novembre 2020

Le bon apôtre du Crocodile

LIVRE IIi - Fable 25 - (Editions Thot en 2018 - Fabuleux Dédale)
 


Le bon apôtre du crocodile

Certes, la raison du plus fort
Livre dans le monde animal
De façon cruelle à la mort
Tout autant l’agneau que le petit marsupial.
Il est une histoire ancestrale
Dont la nature a le secret
Qui pousse à être moins discret
Sur cette inversion entre le bien et le mal.
Ainsi, il était une fois
Un grand crocodile acariâtre
Envieux et de mauvaise foi
Dégoisant, tant de gueule il avait, sans rabattre.
Un paresseux passant par la
Voulût traverser la rivière
« Que viens-tu là, le koala
Me troubler l’onde ! Vas-y ! Fais ta prière ! »
« Seigneur ! Je ne veux rien de plus
Que quelques brins d‘eucalyptus
De l’autre côté de la rive
Et ne sait y aller sans tronc à la dérive ».
L’animal aux écailles de roc
Trois quart de gueule, un quart de queue
Jura dans son milieu aqueux :
« Tu te moques ! Sinoque, autant que je te croque ! »
« Seigneur même en dehors du guet
Je n’injurie le crocodile
De Sobek je suis haranguet
Du souverain des eaux je ne cherche qu’idylle. »
L’aveu de l’ourson à fourrure
Cicatrisa les déchirures
Le futur sac ainsi sacré
Comblé de joie en oublia de massacrer.
« Ami je te fais traverser. »
Dit-il sans plus tergiverser.
Qui d’amour agrandit son cœur
Rétrécit sa bouche au silence du bonheur.



dimanche 15 novembre 2020

Le Souriceau et les vamps

LIVRE III - Fable 33 - (Editions Thot en 2018 - Fabuleux Dédale)



Le souriceau chez les vamps

Aux tréfonds d’un terroir aux lieux déshérités
Où le sens du pays coule au travers des veines
Un souriceau avait grandi et mérité
Du sang de ses aïeux à rester hors des peines.
Un jour venu quittant logis et ses mentors
D’une vision fulgurante
Il ne perçut point l’intuition murmurante
Lui suggérer qu’il avait tort
De partir seul affronter les suceurs de sang.
Lors notre frêle adolescent
Se trouva au pays des vamps.
Et très vite il perdit la rampe
A tort plus qu’à raison
Je vais en faire l’oraison.
Disons que c’est le conte
D’un médecin hématophage
Original se disant comte
En dormant dans un sarcophage.
Il pourrait être le diable de Tasmanie
Ou bien vivre en Transylvanie
Les piqures étant sa manie
Pour tout un chacun, le banni.
Ses trois filles vivaient au château
Pour ne pas suer sang et eau
Se repaissaient du sang
De leurs labeurs évanescents.
Lorsque notre souris les rencontra de nuit
Le minot réfuta le côté salutaire
Son égo disait le contraire
Et l’égo l’emporta, important les ennuis.
Ses trois nouvelles amies lui sautèrent au cou
En tant que châtelaines
Obtinrent sa promesse de tenir le coup
A leurs ponctions mondaines.
La première se dit sociale
Sa ponction parut amicale
Mais la seconde était fiscale
Et sa ponction fut inégale
Notre dernière était raciale
Et sa ponction fut déloyale.
Elles en prirent tellement goût
Du délicieux et de l’exquis
Qu’il en perdit tout son bagou
Et en devint tout rikiki.
Après des heures de morsures
Avides bouches en sang pourléchant ses blessures
Nos trois vamps rassasiées stoppèrent l’escalade
Voyant le souriceau dans sa dégringolade
A tel point qu’il en tomba malade
En se faisant du mauvais sang.
Le comte médecin dérangé pour son rang
Diagnostiqua que sa santé était trop fade
Et que quelques saignées
Devaient être enseignées.
Les parents souris alertés
Ne crurent à l’extrême ponction !
Seuls ceux qui ont amour sincère en vérité
Donnent leur sang à la nation :
Ils n’avaient jamais vu vent pire
À faire chuter un empire
Et ils craignaient le pire
De voir un jour venir chez eux de tels vampires.
La liberté prend la couleur du rouge sang
Quand les prédateurs impunis
Mettent sous un joug vil moult gens
Par une couleur embrunie.
Nos parents poursuivirent
Leur souriceau, ils l’approchèrent
Ils le virent dans sa misère
Le caressèrent, lui redonnèrent la mire
Réitérèrent l’horreur du sang
Et des tentations de Satan.
Il avait pour lui l’expérience
Et devait en faire science.
Il sortait de l’enfer
N’entendait plus se laisser faire.
D’un clin d’œil à son vieux il lui donna raison
Un sourire à sa mère fut réjouissant
Rien ne vaut les vrais liens du sang
Pour accomplir sa guérison.